Les salles de marché ont bien changé depuis l’époque des « golden boys » des années 1980 et 2000. Aujourd’hui, l’ambiance est plus feutrée, dominée par l’accès électronique et l’automatisation des ordres. Les vétérans de cette époque, immortalisée dans des films comme « Wall Street », « Le loup de Wall Street » ou encore « Margin call », sont les survivants d’une ère révolue.
Parmi eux, Guillaume D’Assier de Boisredon, responsable de Pictet Trading & Sales en Europe, incarne cette transition. Ayant commencé sa carrière en 1988, dans une salle de marché chez Barclays à Londres, il se souvient des journées tumultueuses, notamment lorsque Georges Soros a défié la Banque d’Angleterre en 1992, provoquant une crise de la livre sterling. A cette époque, les salles de marché étaient le théâtre d’une frénésie sonore, où l’adrénaline montait et descendait au rythme des fluctuations boursières et des cours de change. Les journées commençaient tôt le matin et se finissaient tard le soir. Les traders travaillaient sans horaires fixes, guidés par les caprices du marché, jonglant avec devises, dérivés, options, et autres instruments financiers, tout cela par téléphone (chaque trader en disposait de plusieurs). La vie familiale, pour ces jeunes hommes et femmes, passait souvent au second plan.

En l’espace de vingt ans, l’automatisation a profondément transformé le monde de la finance. Les salles de marché sont aujourd’hui moins peuplées, mais plus organisées et sereines. Les relations humaines, bien que différentes, conservent leur importance. Les traders, désormais épaulés par des algorithmes, continuent de jouer un rôle crucial, mais la journée est moins imprévisible. Guillaume D’Assier de Boisredon décrit sa routine : « A mon réveil, je prends la température des marchés avec Bloomberg, dans la voiture, j’écoute la BBC et en arrivant au bureau, je suis déjà informé de la soirée à Wall Street et de la nuit en Asie. Je suis prêt. » La journée peut commencer. Il est 7 h 30. « Nous traitons les ordres exécutés le soir à New-York et le matin en Asie. Puis viennent les flux sur les bourses européennes et américaines, en parallèle de la lecture des nouvelles. »
La vie a changé
Les traders d’aujourd’hui n’ont pourtant plus grand-chose à voir avec ceux des années 1980. Les « golden boys » lessivés par les krachs boursiers et guidés par leur instinct, ont cédé la place à des mathématiciens, privilégiant l’analyse sur l’intuition.
« Malgré son évolution, mon métier me passionne toujours autant. Les immenses salles de marché où vociféraient des traders à chaque secousse des marchés ont disparu. » Désormais, la journée d’un trader boursier commence théoriquement à 8 h 30 et se termine vers 17 h 35, après le fixing en Europe. « Toutefois, les marchés des changes et des dérivés ne ferment pratiquement jamais, et nos équipes assurent une couverture 24h grâce au relais de Montréal et Singapour. Les moments intenses pour nous en Europe coïncident avec l’ouverture des bourses à 9 heures, celle des bourses américaines à 15 h 30 et à la clôture européenne à 17 h 30. On note beaucoup de volume en début de journée, quelques fois même avant l’ouverture, mais c’est à la clôture que l’on place le plus d’ordres. Entre ces pics, la tension diminue, mais la vigilance reste de mise. Il faut continuer de surveiller les ordres et l’information qui peut tomber à tout moment. Une annonce économique inattendue peut déclencher une tempête sur un marché nerveux. »
Le gros doigt
Dans le métier de trader, l’erreur n’est pas permise. Confondre un titre avec un autre (quelques fois le nom de deux titres peuvent se ressembler) ou se tromper sur la quantité peut avoir des conséquences graves.
L’erreur la plus courante est d’acheter au lieu de vendre, souvent causée par un click mal placé dans le stress. Plus rare aujourd’hui, l’erreur dite du « gros doigt » survient lorsqu’on ajoute un zéro de trop dans le volume d’un ordre.
Guillaume D’Assier de Boisredon se souvient : «Lors de ma première semaine dans une autre banque, un collègue a commis une erreur en passant un ordre. Le système l’a averti de la taille inhabituelle de l’ordre, mais il a insisté. Au lieu de vendre pour un million de dollars, il a vendu un million de titres. Le stock exchange nous a contactés pour signaler que nous étions en train de peser sur le cours du marché… Heureusement, les erreurs sont en baisse aujourd’hui, grâce à pléthore de garde-fous électroniques, De ce point de vue, 2024 a été notre meilleure année, avec un nombre d’erreurs réduit de cinq fois en quelques années. »
Bien que la majorité des ordres passent aujourd’hui par l’électronique, l’ humain reste essentiel, surtout pour les ordres nécessitant une attention particulière. Par exemple, vendre 2000 titres d’une action dont le volume moyen journalier est de 300 pièces peut entraîner une chute du cours si l’ordre est exécuté en une seule fois. « Notre responsabilité est de morceler l’ordre, de le travailler pour minimiser son impact sur le cours et obtenir le meilleur prix d’exécution. Le métier requiert autant de compétences relationnelles que de technicité. C’est comme dans un marché de fruits et légumes. Le relationnel reste important et cet aspect me réjouit. »
L’évolution est double. Même si la clientèle professionnelle s’automatise, les clients privés gardent certaines de leurs habitudes. « Les clients n’ont pas besoin qu’on leur tienne la main mais ils veulent garder le dialogue avec un expert. » Cette coutume tend plus à se généraliser. Par exemple, un « family office » souhaite souvent discuter avec des spécialistes pour avoir une vision globale de son patrimoine (immobilier, actions, œuvres d’art…).
La saisonnalité de l’activité
L’activité des salles de marché connaît des variations saisonnières. Les trois premiers mois de l’années sont particulièrement actifs, avec les gestionnaires cherchant à maximiser leurs performances après la remise à zéro de leurs compteurs. Les mois de mai, juin, et juillet sont généralement plus calmes. En revanche, la rentrée s’amorce de plus en plus tôt, dès début août, au lieu de mi-septembre comme auparavant. Décembre reste un mois stratégique avec le traditionnel « window dressing », où les gestionnaires ajustent leurs portefeuilles avant le bilan annuel du 31 décembre. « J’ai vu des gestionnaires acheter des valeurs belges parmi les meilleures hausses de l’année, simplement pour coller à l’actualité de leur client belge, par exemple. » raconte le spécialiste.
L’avenir du métier de trader
Les femmes en forte minorité dans les salles
Le métier de trader garde un bel avenir. L’équipe de trading de Pictet (Pictet Trading & Sales) est passé de quatre membres en octobre 2020 à 17 en 2024. Guillaume D’Assier de Boisredon souligne l’attractivité de la profession : « Lors de notre dernière campagne de recrutement, nous avons reçu une centaine de candidatures, mais seulement trois étaient féminines. Le métier continue d’attirer majoritairement des hommes. »
Qualités /défauts d’un trader
En 2025, la confiance est une qualité essentielle pour un trader, accompagnée d’une grande précision dans l’exécution des ordres. « En près de 40 ans, tout s’est accéléré. Lorsque J’ai débuté dans le marché des changes en 1988, un ordre était transmis par téléphone en quelques secondes. Aujourd’hui, cela se fait en microsecondes via Internet. La précision du spread sur le prix (en euro/dollar) est passée de 0,0005 à moins de 0,0001, » détaille Guillaume D’Assier de Boisredon qui poursuit :
« Précision, sérieux, sont deux autres qualités auxquelles nous sommes attentifs. Il faut de l’empathie et de l’intelligence sociale pour comprendre les clients. Le marché doit vous trotter dans la tête toute la journée pour savoir appréhender et discerner l’impact des données économiques. Il faut rester continuellement informé. »
Le défaut….
« Le défaut à éviter est l’arrogance du trader qui prétend tout savoir et ne jamais se tromper. Et l’introverti…peut être difficile à gérer. Un trader doit être résilient face au stress et savoir gérer son impatience pour éviter les décisions impulsives. »
Le métier est devenu de plus en plus technique, nécessitant une approche analytique. Bien qu’aucun niveau de diplôme spécifique ne soit exigé, la plupart des candidats possèdent un bac+4 ou un master. Une fois embauché, il faut une période d’adaptation à ce monde très différent du monde académique. Guillaume D’Assier de Boisredon explique : « Il faut acquérir de l’expérience pratique tout en conservant l’esprit et la culture des études. L’essentiel est de renforcer ses compétences analytiques. »