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Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.

Marotte du marché depuis plusieurs trimestres, qu’est-ce finalement que cet « atterrissage en douceur » (ou soft-landing) censé nous ouvrir les portes de la Jérusalem céleste du scénario « boucles d’or » (Goldilocks) synonyme de désinflation, résilience de l’économie, taux en repli et décontraction des multiples de valorisation ?

Selon Alan Blinder, Vice-Président de la FED dans les années 90, il est n’est rien de moins que le Saint Graal du banquier central, « le feu sacré de toute politique monétaire » confesse-t-il dans sa dernière contribution au Journal des Perspectives économiques. Il désigne l’occurrence, assez rare dans l’histoire monétaire, où la FED réussit à remonter ses taux directeurs sans entraîner un repli de plus d’1% du PIB un an après.

Depuis 1965, onze programmes de resserrement monétaire se sont succédés aux Etats-Unis. Mauvaise nouvelle pour les investisseurs, dans 70% des cas, ils se sont soldés par une sortie de piste de l’économie et un dérapage incontrôlé des marchés actions : en moyenne, une baisse maximum de 30% (maximum drawdown) !

Par trois fois seulement, l’économie américaine a su se poser en douceur, limitant (parfois) la casse des marchés : -22% maximum pour le S&P500 entre 1965 et 1966, -14% entre 1983 et 1984 et -8,9% entre 1993 et 1995. « Pour réussir un atterrissage en douceur, en n’exerçant peu ou pas de contrôle sur les agrégats économiques, une banque centrale doit être à la fois chanceuse et douée… » concède Blinder… Le « parachute » de l’élection présidentielle, à laquelle on prête souvent de grands espoirs de stimulus budgétaire, sera donc d’un grand secours pour les marchés… A ceci près que la fibre textile du dispositif d’urgence est quelque peu éculée par son utilisation fréquente au cours des dernières années…

Dans le cockpit, on surveillera donc les signaux d’alarme à l’approche de la piste. Cette semaine, les indices PMI dans l’industrie chinoise nous ont envoyé des signaux mitigés sur l’état de la demande domestique et des débouchés à l’export. L’Europe, plus que les Etats-Unis est vulnérable au ralentissement économique de son principal partenaire commercial. Elle est aussi en première ligne quand la volatilité des prix de l’énergie refait surface : les tensions énergétiques restent d’actualité avec le risque de nouveaux quotas pétroliers en Arabie Saoudite.

Malgré leur rebond de plus de 8% depuis fin octobre, à la faveur d’une probabilité plus forte que la BCE puisse baisser ses taux l’an prochain (peut-être dès le premier semestre), les actions européennes (et émergentes…) affichent une décote proche des records par rapport aux actions américaines. Double peine : la baisse des taux nominaux (sur fond de désinflation) a moins profité à l’expansion des multiples sous nos latitudes orageuses tandis que les perspectives de croissance nominale en souffrance tranchent significativement dans les attentes de marges et de résultats.

Toujours attendus en hausse de 7% en Europe (contre 11% aux Etats-Unis !), les bénéfices de 2024 (hors banques et financières qui enregistrent les meilleurs flux depuis aout 2022 !) continuent d’être revus à la baisse. Les stratégistes les plus prudents s’attendent à un réveil douloureux au lendemain des réveillons de fin d’année. Ils envisagent jusqu’à 15% de baisse des bénéfices au premier semestre l’an prochain. La décote des actions européennes, qui ne profitent pas des flux domestiques chinois ou des transferts de capitaux internationaux vers la thématique intelligence artificielle aux Etats-Unis, est amplifiée par 37 semaines consécutives de décollecte….

Après 4,5% de hausse des taux de la BCE, les économies de la zone euro vont devoir digérer le renchérissement des conditions financières. Avec un effet de décalage assez difficile à estimer et des disparités notables entre les économies européennes. On ne doit guère la même chose à son créancier selon que l’on emprunte au nord ou au sud des Alpes. ​ Le taux d’intérêt moyen servi par les entreprises non financières dépasse les 5% en Italie et les 4% en Espagne. C’est deux points de plus qu’en Allemagne et en France. Les conditions de révision des taux et la maturité moyenne des lignes obligataires sont également moins favorables dans les pays du sud.

Les investisseurs risquent donc de devoir à nouveau jouer des coudes pour se prémunir du risque de crédit, qui devrait se matérialiser de façon plus marquée l’an prochain. La France gardera-t-elle grâce à leurs yeux quand, pour la première fois sous la présidence Macron, l’agence S&P menace de dégrader la note du pays ?

LFI

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