L’asset servicing est devenue une des activités florissantes du secteur financier au Luxembourg grâce au succès historique du UCITS, ce fonds d’investissement européen très règlementé avec pour objectif de protéger les intérêts des investisseurs « retail ». Le code ISIN commençant par LU qui indique les fonds émis depuis le Luxembourg, reste très prisé par les investisseurs aux quatre coins de la planète (Europe, Asie et Amérique Latine). Mais le passé ne présage pas du futur comme le dit la formule…
L’activité de l’asset servicing pour un fonds d’investissement se résume à un ensemble de tâches et d’activités réalisées par une banque dépositaire et une administration centrale (comme l’impose la loi) pour le compte de fonds de pension, de gérants d’actifs, d’assurances, etc. alors que l’initiateur du produit se concentre sur la gestion et la distribution de son support de placement.
A défaut de label concurrent, l’engouement pour les fonds UCITS (Luxembourgeois et Irlandais en premier lieu) – devenus une marque mondiale – reste inchangé et provient principalement de leur réglementation robuste et du professionnalisme de leurs intervenants. Pour un investisseur ou un gérant, investir dans un fonds UCITS luxembourgeois est un gage de sécurité, associé à une juridiction d’un pays stable et auréolé du rare label « AAA ».
A Luxembourg depuis les années 90, Claude Pech a rejoint Pictet voici 11 ans. Aujourd’hui, il occupe le poste de Deputy CEO de Pictet Asset Services. Il reste optimiste quant à l’avenir des fonds à Luxembourg: « Le Luxembourg demeure l’épicentre pour les fonds transfrontaliers, mais, plus que jamais, l’innovation et l’adaptation sont des conditions sine qua non afin de maintenir l’attractivité de cette juridiction », explique-t-il avant de répondre à nos questions.
Quel diagnostic peut-on établir de l’asset servicing à Luxembourg ?
Le secteur tend à se consolider toujours plus, mais il continue à offrir des opportunités pour les sociétés d’asset servicing plus spécialisées, notamment dans le domaine des « private assets ». Certains asset manager recherchent des solutions très standardisées et automatisées, que l’on peut qualifier d’usines, adaptées aux fonds d’investissement dits « vanille ».
Cependant, dans tout secteur d’activité trop concentré, il y a toujours de la place pour des alternatives. Avec le temps, les exigences des clients ont évolué, et les initiateurs de fonds nécessitent un accompagnement plus personnalisé. Le Luxembourg continue d’attirer des clients du monde entier.
Néanmoins, fonds luxembourgeois ne signifie pas que l’asset servicing est réalisé sur place au Luxembourg. En raison de l’érosion des marges, qui a été la principale cause de la concentration du secteur ces dernières années, plusieurs activités administratives sont aujourd’hui réalisées dans des pays tiers où le coût de la main d’œuvre est plus bas et/ou cette dernière est plus expérimentée. La réglementation reste un garde-fou contre des stratégies d’offshoring plus massives.
Le succès de l’Irlande ne risque-t-il pas à un moment de nuire de plus en plus à la place ?
Le succès de l’Irlande est indéniable, et on ne peut que saluer le dynamisme de cette place financière. L’Irlande a su se positionner sur les fonds ETF (UCITS pour partie) qui connaissent un succès retentissant avec l’engouement pour la gestion passive. Mais l’Irlande bénéficie surtout d’un avantage important : la convention de double imposition signée entre l’Irlande et les Etats-Unis, qui permet une retenue à la source à taux réduit. Cette convention est particulièrement intéressante pour des fonds largement investis sur le marché américain, un avantage dont le Luxembourg ne bénéficie pas. De plus, l’expertise et la réputation de Dublin se sont également construites autour des fonds alternatifs, dont Dublin reste un spécialiste.
Aujourd’hui, quel est le désavantage le plus souvent pointé du doigt par les clients au Luxembourg ?
Pour les fonds soumis à accord de la CSSF, le « time to market » reste trop souvent mentionné par les initiateurs comme le souci principal. Légende urbaine ou non, cette réputation est tenace et est entretenue dans le cercle des asset managers mondiaux. Ces acteurs de la gestion internationale sont des clients influents du Luxembourg, et comme dans toute activité, il faut savoir écouter ses clients, qu’ils aient tort ou raison.
La procédure pour obtenir l’accord de la CSSF reste parfois longue et compliquée.
Bien sûr, on ne peut pas reprocher à la CSSF de poursuivre l’objectif noble de protéger le label UCITS et la place luxembourgeoise, mais ce que certains ont qualifié de « Luxembourg finish » devra inéluctablement évoluer pour maintenir le leadership du label luxembourgeois.
Il faut voir comment le Luxembourg, dans sa position de numéro 1, peut renforcer son influence au niveau européen afin d’assurer plus de pragmatisme dans une réglementation de fonds devenue excessive.
On m’a souvent relaté que le régulateur irlandais est plus réactif car pro-business, ce qui explique certainement en partie leur succès.
Toutefois, n’oublions pas que le régulateur luxembourgeois, tel un entrepreneur, a été l’artisan de cette formidable réussite du Luxembourg comme domicile évident des UCITS transfrontaliers lorsque la première directive européenne a été votée.
L’exemple du succès des RAIF est un signe clair que le « time to market » est devenu un critère essentiel. En cela, la CSSF a répondu à une demande du secteur financier pour une solution de fonds moins encadrée (la CSSF ne doit pas les approuver), et on ne peut que se féliciter du résultat.
Plus récemment, les initiatives du nouveau gouvernement visant à redevenir un partenaire pro-business du secteur financier et à relancer la compétitivité de la place sont à saluer, à l’image de l’Irlande ou même d’autres juridictions européennes.
Par exemple, certains régulateurs de nos grands pays voisins – à la réputation tenace de bureaucratie – se sont révélés particulièrement ouverts quant au développement du secteur financier domestique, notamment dans le contexte du Brexit.
Une solution pour que les dossiers bénéficient d’un temps d’approbation plus court ?
Une solution serait de faire davantage confiance aux cabinets d’avocats ou aux juristes qui exécutent un travail remarquable en amont. Suite à cela, une revue des dossiers en diagonale pourrait suffire, à l’exception des cas plus compliqués.
L’IA est une opportunité d’efficience bien connue dans le secteur financier et pourrait faciliter la revue des prospectus et documents par la CSSF.
Enfin, fixer un délai maximum pour la revue et/ou une indication du degré d’avancement serait également une avancée appréciée par les initiateurs.
Il faut comprendre que dans l’asset management, il y a un stress réel à ne pas pouvoir lancer un produit ou ouvrir un compte à temps (cela pourrait entraîner une perte des investisseurs et des revenus). Un asset manager dont le projet est avorté en raison d’un délai trop important pour obtenir l’accord de la CSSF aura évidemment une dent dure contre le Luxembourg, et ces perceptions persistent malheureusement longtemps.
Enfin, pourquoi ne pas demander un retour d’expérience aux initiateurs de fonds ? La CSSF, comme toute autre administration soucieuse de la qualité de ses services, doit veiller à améliorer l’expérience « client » et se comparer aux pratiques d’autres places de l’Union Européenne.
Existe-t-il d’autres concurrents que l’Irlande ?
Pour les UCITS transfrontaliers, je ne vois que l’Irlande, mais à notre époque tout peut changer rapidement, et nous ne sommes pas indétrônables. Malte a tenté une percée, mais sans réussir réellement. Mais n’oublions pas les UCITS domestiques et la France, par exemple, qui, forte de son marché, pourrait ambitionner de promouvoir les UCITS français à l’international.
Enfin, il ne faut surtout pas perdre de vue que le Royaume-Uni est sorti de la communauté européenne et pourrait tout à fait décider d’une législation de fonds concurrents aux UCITS européens, à l’image de ce qu’a fait, par exemple, la Suisse avec le L-QIF, qui est une alternative évidente aux RAIF luxembourgeois.