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Par Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.

En dehors de la Chine, la masse monétaire des principales zones (Euro, Sterling, Yen) ne croit pratiquement plus. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, elle est en contraction aux Etats-Unis. L’abondante marée des liquidités se retire.

Avec leur reflux finissent par se tarir les dépôts, les réserves en cash des banques. Elles sont au plus bas depuis la crise du repo de 2019 (pour les banques locales ou régionales américaines). L’accès au crédit pour le consommateur et les entreprises se resserre. La titrisation cale : Santander retarde une vente de près d’un milliard de dollars de crédits automobile subprime. Les introductions en bourse ou émission d’actions piétinent : Gn Store Nord A/S retire son offre de capital (près d’un milliard d’euros), la plus importante en Europe cette année. Que ce soit pour réduire sa dette ou financer son M&A, l’accès au capital devient plus difficile pour les directions financières. La marée basse dévoile sur le sable les corps asphyxiés des premiers échoués.

La question de la sécurité du modèle des banques (basé sur la transformation de ressources court terme en actifs de long terme) se pose à chaque renversement de la politique monétaire où la courbe des taux pourra avoir tendance à s’inverser.

Sur les 14 récessions mondiales qui ont ponctué l’histoire de l’industrialisation et de la globalisation de la planète depuis 150 ans, toutes ont été déclenchées soit par une crise bancaire, soit par une crise géopolitique ou pandémique.

Les ingrédients de base du cocktail explosif changent peu, malgré le renforcement des exigences règlementaires à chaque crise. On retrouve chez SVB (Silicon Valley Bank) celui d’une gestion sous-optimisée de l’actif par rapport au passif. Un gouvernement, une banque centrale peuvent apporter de la liquidité.

Mais ils ne peuvent pas fournir un business model.

On revit chez Crédit Suisse l’époque des manquements au contrôle des risques de la banque d’investissement et de financement. On pense par exemple à l’affaire Archegos. Les pérégrinations d’un management cavalier, instable, enchainant les scandales (blanchiment d’argent en Bulgarie, corruption au Mozambique, espionnage industriel, fuite de données clients, luttes intestines au plus haut niveau) cristallisent les pertes réputationnelles. Pépite du groupe, la gestion d’actifs et de fortune a vu ses encours baisser de 27% en 2022. Les dépôts de 37% au quatrième trimestre. La profitabilité s’est effondrée. Depuis 2007, près de 100 milliards de capitalisation boursière ont été effacés.

Le SX7P, ticker du trépidant Stoxx Europe Banks, perd près de 7% le 15 mars. C’est le pire drawdown quotidien du secteur depuis exactement trois ans. Le 15 mars 2020, il abandonnait 14,35%. Il faut remonter au 24 juin 2016, date du Brexit pour trouver pire : -14,5%.

La faillite de la banque du Carried Interest Crew, Silicon Valley Bank, n’hypothèse pas seulement la fin de l’âge d’or financier de la Silicon Valley. Avec le run boursier sur le secteur, elle nous interroge tous, investisseurs ou non. Car elle questionne la tangibilité et la matérialité de nos avoirs bancaires. Le rebond de l’or n’y est pas étranger. Existe-t-il pire cauchemar pour un banquier central qu’une perte de confiance généralisée à l’égard du système bancaire et financier ?

Est-ce d’ailleurs le cas ?

On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, c’est selon. Ou bien, de façon élégante, on peut admettre n’avoir aucune visibilité. Si l’on souhaite ainsi se montrer data dependant à la manière de Jerome Powell, alors on se focalisera sur le rapport H.8 sur l’actif et passif des banques commerciales de la FED. Il permettra chaque semaine de constater si les dépôts quittent massivement les petites banques régionales, les plus à risque, vers les grandes, comme ce fut le cas pendant la crise de 2008. Le mouvement a commencé, sans qu’on y trouve une forme quelconque de panique, pour l’instant. On s’interrogera aussi sur la réalité virtuelle que nous présentent les marchés. Les obligations à deux ans du trésor américain ont cédé 120 points de base de rendement.

Les futures sur FED Funds anticipent une baisse des taux de 100 points de base en fin d’année quand ils abandonnaient cette idée avant la faillite de Silicon Valley Bank. Entre le 10 et le 15 mars, les attentes sur les taux de la BCE ont baissé pratiquement de 50 points de base sur toute la courbe de juillet 2023 à décembre. Le pic attendu à 3,6% après octobre tombe à 3,2%.

En l’espace de quelques séances, les mouvements sur les courbes de taux ont changé le narratif qui prévalait il y a encore une semaine. Au scénario d’une croissance résiliente, d’une inflation persistante, de banques centrales résolues à la combattre succède celui d’une récession imminente et d’un demi-tour monétaire passant par des taux terminaux plus bas qu’anticipés et un pivot en 2023.

La baisse des métaux industriels et du Brent (deux fois moins cher -nominalement- qu’en 2008 quand Bernanke et Trichet montaient respectivement à 5% et 4% leur taux) livre le même scénario. L’indice de probabilité de récession à 12 mois de la FED de New York s’envole à 54,5%…

Les marchés ont-ils le pouvoir de créer leur propre réalité ? Peuvent-ils forcer Christine Lagarde et Jerome Powell à s’écarter de la feuille de route qu’ils se sont fixés ? Quel effet sur l’inflation d’une telle volteface monétaire ?

Depuis le 14 mars, en Europe et aux Etats-Unis, les swaps d’inflation et les breakevens cessent de baisser. C’est la conséquence logique du pricing par les marchés de politiques monétaires plus dovish.

Néanmoins, avec 8,5% d’inflation en zone euro et des taux 2,25% sous ceux de la FED, Christine Lagarde a choisi de maintenir le cap.

La réaction positive des marchés européens encouragera-t-elle Jerome Powell à continuer de monter les taux FED de 50 points de base cette semaine ? Réponse en sortie des épreuves anticipées du BAC (si elles ont lieu…) ce 22 mars à 19h00… Les pronostics divergent, la banque Nomura n’hésitant plus à tabler sur une baisse !

En attendant, une chose est certaine : entre le cauchemar d’une crise de confiance bancaire, le « monstre » de l’inflation et les stigmates financiers de la récession, le sommeil des banquiers centraux risque de rester troublé cette année… Celui des investisseurs aussi.

Il aura suffi de cinq séances pour effacer près de trois mois de surperformance du secteur bancaire depuis le début de l’année et sérieusement entamer le rallye cyclique. Cinq séances pour réécrire l’histoire d’une année qui ne l’oublions pas, ne fait que commencer…

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